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« ARAB LABOR », UNE SERIE ISRAELIENNE TELEVISEE OU L’HUMOUR JUIF ET L’HUMOUR ARABE S’ENTREMÊLENT

22 Avr

 

Source : lexpress.fr en ligne le 22 avril 2011

Arab Labor, la série qui soigne la pathologie arabo-israélienne

Par
Igor Hansen-Løve

Premier rendez-vous hebdomadaire sur les séries étrangères et première escale en Israël. Présentation d’Arab Labor suivie d’une rencontre avec son créateur et scénariste, Sayed Kashua.

A l’occasion de la deuxième édition du festival Séries Mania, qui a fermé ses portes le 17 avril au Forum des images, LEXPRESS.fr part à la découverte des séries TV qui se fabriquent loin des studios français et américains. Tous les vendredis, pendant un mois, focus sur un programme phénomène dans son pays. Avant la Corée du Sud, l’Australie et le Canada, première escale aujourd’hui en Israël avec l’excellente série Arab Labor, suivie d’une rencontre avec son scénariste et co-créateur Sayed Kashua et Shai Kapoon, son réalisateur.

Arab Labor

Arab Labor, se traduit littéralement par « travail d’Arabe ». Entendre: « travail mal fait » voir même « travail de merde » pour les intimes. La série Arab Labor, c’est tout le contraire de ça puisque c’est LE phénomène télévisuel en Israël: une série en langue arabe qui s’est imposée en prime time à la télévision israélienne avec ses courts épisodes d’une vingtaine de minutes. Du jamais vu. Elle cartonne aujourd’hui avec une audience de 25% sur la chaîne Keshet. Son créateur s’appelle Sayed Kashua, il appartient à cette minorité arabo-israelienne qui constitue 17% de la population israélienne. C’est un journaliste pour Haaretz, un journal hébreu et un écrivain, auteur de plusieurs romans.

Rencontre avec Sayed Kashua (Co-créateur et scénariste).

Qui est Amjad, le personnage principal d’Arab Labor?

Sayed Kashua : Amjad est d’abord un très mauvais journaliste. C’est quelqu’un de névrosé jusqu’au bout des ongles, il est passablement égocentrique et échoue lamentablement tout ce qu’il entreprend. Arab Labor est une comédie, indéniablement, mais son protagoniste est quelqu’un de triste et solitaire qui essaie de survivre dans un monde qui lui est fondamentalement hostile.

Dans la première saison, Amjad consulte un psychiatre qui lui explique qu’il est atteint de la « pathologie arabo-israélienne ». Qu’est-ce que c’est ? Existe-t-il un remède?

S. K. : Cette pathologie, c’est le fait d’être contraint d’assumer une identité double et en apparence, antagoniste. Le remède, c’est un état palestinien, démocratique et libre. En ce qui me concerne, je suis très pessimiste. Le gouvernement israélien ne m’a jamais fait aussi peur. Il est composé par trop de membres de l’extrême droite, il est profondément discriminatoire et injuste.

Comment étaient représentés les Arabes israéliens à la télévision israélienne avant Arab Labor?

S. K. : Si un Arabe ne constituait pas une menace directe pour Israël, il ne pouvait pas être médiatique. Les Arabes ayant la nationalité israélienne représentent à peu près 17% de la population en Israël. Avant Arab Labor, ils avaient un temps d’antenne qui ne dépassait pas les 2%, c’est à dire à peu près 30 minutes par semaine, le vendredi matin, à une heure creuse. Aujourd’hui, un épisode d’Arab Labor rassemble 25% de l’audimat national. J’en suis fier, autant pour les Arabes que les Juifs d’ailleurs.

Vous êtes Arabe, mais l’humour dans votre série est très proche de l’humour juif. Les angoisses existentielles sont mises en scène avec beaucoup d’autodérision, la figure du père y est systématiquement moquée, ce qui n’est pas courant dans la culture arabe. L’humour d’Arab Labor est-il calibré pour un audimat majoritairement juif?

S. K. : Peut-être… Mais non, je n’y crois pas. Ce que vous appelez « humour juif » est quelque chose d’universel et il n’appartient pas qu’aux juifs. L’humour juif, à proprement parler, c’est simplement celui d’une minorité menacée.

Comment définiriez-vous l’humour de la minorité?

S. K. : « Ne me tirez pas dessus, je peux être drôle ». Avec un pistolet sur la tempe. Il se décline localement mais ses racines sont toujours les mêmes. Aujourd’hui, les Arabes en Israël sont dans cette situation et de ce point de vue, ils ont beaucoup en commun avec les Juifs.

Si l’on peut parler d’un humour juif peut-on aussi mettre le doigt sur un humour arabe?

S. K. : (Longue pause). Kadhafi ? C’est pas de l’humour arabe ça ? (Rires) L’humour arabe, c’est mortel ! Non, plus sérieusement, je ne suis pas un expert de ce qui se fait à la télévision arabe mais j’ai vu des émissions syriennes à mourir de rire et je sais qu’en Egypte, il se fait aussi de très bonnes choses. Entre Arabes, on sait aussi faire preuve de beaucoup d’autodérision mais on l’expose moins. On sait surtout beaucoup moins l’exporter que les Juifs. (Fou rire).

Est-ce qu’en ridiculisant un protagoniste arabe à la télévision israélienne, même de façon affectueuse, vous n’avez pas eu d’ennuis avec la communauté arabe?

S. K. : Si, j’ai eu des gros problèmes au début. Des menaces, très sérieuses même. J’ai eu peur pendant les premières années. Mais je me suis focalisé sur mon boulot et ça a marché. Ca va beaucoup mieux maintenant, je suis régulièrement invité pour faire des conférences dans des pays arabes et tout se passe très bien.

Dans quelle mesure Arab Labor fait-elle bouger les lignes?

S. K. : D’un point de vue strictement politique, on a complètement échoué. (Rire) Comme je vous l’ai dit, la situation politique en Israël me désespère. Mais je crois que ce qui a été significatif, c’est que l’on a habitué les gens à entendre de l’Arabe à la télévision. C’était nouveau. Après, notre tâche a été « d’humaniser » les Arabes, ce qui explique peut-être le tempérament d’Amjad, maladroit et hésitant. Mais j’ai régulièrement de très bonnes surprises. En Israël, par exemple, le mariage entre un Arabe est un Juif est un sujet quasiment tabou. Dans un épisode, un personnage tombe amoureux d’une juive, forcément… Et l’histoire d’amour a parlé aux téléspectateurs. Dans les journaux et sur Internet, le lendemain de la diffusion, je voyais des hordes de commentaires qui disaient « Mariez les, mariez les ». Ça nous a tous fait très plaisir.